De Bordeaux à la Réole | 33
Artistes, mineurs étrangers isolés, personnes déficientes mentales, concepteurs du projet, éducateurs, tous réunis le temps d’une virée à bicyclette. Trois jours pensés comme une escapade artistique où chacun, différent, ayant quitté son statut, mais aussi regards et conversations du quotidien, devient équipier. Se déplacer dans l’espace, le temps, mais aussi bouger les idées des uns et des autres et créer ensemble « un ailleurs ».
Jeannie Longo n’a pas pu venir le jour de l’exposition, terminus du voyage, mais la championne du monde, la médaillée olympique, était bien là, dans les têtes des « organisatrices ». « Oui, c’est vrai. On l’a contactée pour l’inviter au vernissage. C’est la marraine de l’expo et elle a donné le nom à cette épopée dont le groupe était fortement féminin. Elle est encore dans nos esprits… » raconte avec le sourire et humour Gwenaëlle Larvol, chargée du projet « En vacances avec Jeannie L… » en collaboration avec Anne- Cécile Paredes, toutes deux appartenant au collectif du Bruit du Frigo (Bordeaux) qui réalise des projets urbains artistiques, participatifs et contextuels sur l’espace public.
En route pour expérimenter un « nous » artistique
Partir en vacances, à bicyclette, avec un groupe dont les voyageurs ne sont pas rodés au vivre- ensemble ou tout simplement aux vacances et se donner du temps pour expérimenter un « nous », dans lequel chacun trouve sa place au cours d’un voyage aux pratiques artistiques tel est imaginé le projet « Comme la plupart de nos projets, il se construit à partir de la rencontre de différents publics, dans ce cas, de la rencontre avec des mineurs isolés étrangers*, des adultes déficients mentaux**, ayant entre 16 et 25 ans, leurs éducateurs et des artistes et acteurs du monde culturel. Trente personnes, telle une sortie de colonie de vacances, ont emprunté pendant trois jours 55 km de pistes cyclables au sud de la Gironde, entre Bordeaux et la Réole.»
Pour cette escapade, quatre jeunes femmes artistes ont été choisies pour leurs capacités à créer des œuvres contextuelles, ouvertes à la rencontre, et à faire récit d’une aventure collective : Marianne Vieulès (art visuel), l’association “L’Amicale“ constituée de Virginie Terroitin et Maddalena Pornaro (art visuel et architecture ) et Camille Téqui, la vidéaste, “une filmeuse“ de terrain comme elle se définit.
« …Seul le voyage allait amener la réponse… »
Quant aux autres voyageurs, Thierry, Ali, Aboubbacar, Mohamed, Amara, Aziz, François, Benoît, Mélissa … bien que prêts pour la grande aventure, ils ont fait connaissance avec les artistes, mais aussi ils ont fait connaissance avec tout le groupe en partance. « Il y a eu quelques ateliers en amont, qui ont permis la rencontre, la mise en confiance avec les vélos, le Code de la route. Il y a eu aussi des temps où l’on s’est questionné sur l’art, sur comment définir le groupe, le représenter… Pour la première fois dans notre pratique, le déplacement faisait partie du projet de création. On n’avait encore rien décidé sur l’exposition à venir. Seul le voyage allait amener la réponse, il fallait donc le vivre avant » raconte avec enthousiasme Virginie Terroitin.
Le drapeau, comme compagnon de route
Pour représenter le groupe, chacun a choisi un objet précieux qui lui appartenait : un briquet, une écharpe … permettant la création d’un drapeau ; la transformation graphique ayant été réalisée par les artistes. « Le drapeau a été fixé sur un vélo, il assurait le ralliement pour le groupe, « le moment de câlin » où l’on se rapproche tous et toutes…La prise de parole à la fin du voyage s’est faite naturellement en ayant en main le drapeau, chacun se le passant après avoir témoigné. On ressentait la force du symbole» souligne Maddalena Pornaro.
L’épopée ou la construction de souvenirs
Les repas, les moments surprises dans un café, les coups de pédale, les respirations, les sourires, les pieds dans l’eau pour se rafraîchir, les rires à partir d’une séance yoga organisée par Marianne Vieulès… autant d’instants filmés qui ont donné de la valeur, de l’épaisseur, de la couleur à ce voyage. « Ils ont créé ces moments, ces paysages, que nous avons captés en tant que souvenirs… On s’est inspiré des soirées diapo que l’on ferait naturellement en famille, entre amis… pour créer le vélorama, une des pièces de l’exposition, structure dans laquelle on entre, on s’assied et on prend le temps de regarder… » précise Virginie Terroitin. D’autres pièces artistiques, performances, et autres souvenirs ont constitué l’exposition qui s’est tenue du 20 octobre au 5 novembre dernier à la fabrique Pola (Bordeaux).
« …Toutes les anecdotes du voyage se retrouvaient dans les œuvres »
S’il est trop tard pour la visiter… On peut en avoir un aperçu en se rendant sur le site du Bruit du Frigo « En vacances avec Jeannie L… » et accéder à quelques images de la soirée de vernissage : le carrousel à vélo, la performance collective, le jeu de cartes pour inventer un jeu, le vélorama… « Le jour du vernissage, il y a eu une grande joie de se revoir, de se voir dans les vidéo, de voir tout ce qui a donné lieu à des créations artistiques à partir du vécu de chacun, du vécu collectif…Toutes les anecdotes du voyage se retrouvaient dans les œuvres » conclut avec émotion Virginie Terroitin.
*Jeunes issus de R-d’accueil – Rénovation
** Jeunes issus de Ad’Appro – Institut Don Bosco
Les trois coups ! Selon l’Amicale -Virginie Terroitin et Maddalena Pornaro -
Coup de chapeau : « Aux jeunes, hyper volontaires, curieux, curieuses, jouant le jeu… Spontanés.»
Coup de main : « La complémentarité avec les autres artistes. On a pu confronter notamment avec Marianne Vieulès nos créations en construction durant le voyage. Ce sont de belles rencontres. »
Coup de projecteur : « L’exposition à Arc-en-Rêve à Bordeaux des photographes Eric Tabuchi et Nelly Monnier. Ils photographient des architectures abandonnées, informelles et portent un regard sur le territoire français drôle et beau. »
En vacances avec Jeannie L : https://bruitdufrigo.com/projets/fiche/a-velo/