Lormont | 33
À travers ses créations, soucieux de la protection de l’environnement, un collectif de théâtre aborde les thèmes liés à la nature, à l’eau, à l’alimentation. Alors, quand une régie municipale a l’objectif de sensibiliser des jeunes aux traitements des eaux usées… c’est naturellement qu’il répond à l’appel d’offres sans oublier, pour ce spectacle, la danse et la poésie. En route pour une visite guidée sous terre pleine d’humour…
À une cinquantaine de mètres du fleuve, sur la rive droite de la Garonne, dans le vieux Lormont, le collectif Théâtre du Fleuve, né en 2022 du regroupement de deux compagnies, ouvre ses portes la même année : « Les liens d’amitié existant depuis de nombreuses années entre la compagnie Soleil nuit et Le dernier strapontin ont permis cette aventure sous l’intitulé d’un collectif qui regroupe aussi de nombreux artistes indépendants. Compagnies itinérantes jusque-là, nous voulions nous poser, pouvoir répéter, proposer une programmation » raconte Théo Barbe, comédien et coordinateur du Collectif.
L’aventure passe par l’achat d’un entrepôt de plus de 200 m2 en 2020. La transformation de l’espace nécessite près de 3 ans de travaux, un investissement de près de 500 000 euros qui a reçu l’aval des banques et aussi un gros coup de main à travers des ateliers participatifs : « Ce projet, né pendant la période du COVID, a suscité un vrai travail d’équipe mêlant artistes, bénévoles, étudiants-ingénieurs et gens de métiers. S’il est un lieu de vie artistique, il a été pensé comme un lieu polyvalent adaptable, pouvant accueillir des ateliers, des formations et des tournages pour des courts-métrages » souligne notre interlocuteur qui, à 28 ans, a déjà eu un passé d’étudiant ingénieur.
Au fil de l’eau, l’histoire du théâtre se construit
C’est dans ce contexte de lieu en création, près du fleuve, situé dans la rue qui porte le même nom, en pleins travaux, que le collectif prend connaissance en mars 2021 de l’appel d’offres d’Eau Bordeaux Métropole, régie municipale aujourd’hui qui gère les services de l’eau potable, de l’assainissement non collectif et de l’eau industrielle de l’agglomération bordelaise. «Tout semblait nous pousser à y répondre : notre nouvel espace tourné vers le fleuve par sa situation, le nom envisagé pour notre collectif, mais plus encore notre intérêt depuis toujours pour l’environnement, notre façon d’aborder le théâtre de manière pédagogique et participative et différents thèmes déjà portés par nos spectacles jusque-là, comme l’écologie, l’alimentation, dont le dernier s’appelle « goutte d’eau » sans oublier nos sensibilités personnelles concernant l’eau, l’océan.»
… Et un appel d’offres qui se dessine comme une opportunité
Thème de l’appel d’offres : la sensibilisation des plus jeunes aux traitements des eaux usés, expliquer ce qui se passe sous nos pieds. Comment construire un spectacle de théâtre, à partir d’un cahier des charges qui va devoir informer de ce qui se passe sur les 4000 km constituant le réseau souterrain et son traitement dans une usine ? Le défi ne fait pas peur à l’équipe des trois comédiens qui vont coécrire le spectacle. Quatre mois de travail derrière le bureau et beaucoup d’allers-retours avec les personnes en charge de la communication et la directrice de l’usine seront indispensables. « Nos interlocuteurs avaient à cœur de nous parler de ce sujet, ils ont donné beaucoup de leur temps, ils étaient heureux de travailler avec des artistes, on le sentait…De notre côté, il fallait ne pas être moralisateur, sortir de la technique, et mettre du rêve, de la poésie et beaucoup d’humour.» souligne Théo co-auteur de la pièce avec Angélique BOREL et Julie HERCBERG.
Dysfonctionnements et réalité dans le cahier des charges
Comprendre, mais aussi prendre en compte les dysfonctionnements, la réalité de ce que sont faites ces eaux usées, telle que l’utilisation des w-c comme vide ordures, les deux fléaux que sont les mégots et les lingettes que l’on retrouve partout, l’impossibilité de gérer parfois trop de déchets et qui impose une vidange de l’usine, c’est-à-dire un aiguillage direct vers la Garonne… Les messages, les gestes du quotidien à apprendre seront aussi insérés dans le spectacle, sans pour cela être moralisateur.
Et le pouvoir de la transformation à travers le rêve
Le spectacle « L’eau-là » - d’une durée de 50 minutes- est né de tout ce recueil d’informations pour aller vers une rencontre onirique à la découverte des mystères de l’eau. Il met en scène Lola, la directrice de l’usine, seul humain qui a perdu le sens de ce qu’il fait et qui exécute machinalement son travail. Lola apparaît loufoque, clownesque pour les plus jeunes, au bord du burn-out pour les plus grands. À travers ses rêves, elle va rencontrer le personnage de la bouche d’égout, du monde souterrain, celui que l’on ne voit pas, plus, le SDF de nos quotidiens. Ils vont entrer alors dans le monde imaginaire, celui du rêve où les images et le mouvement l’emportent sur les mots à travers un 3e personnage, l’esprit de l’eau, libre dans sa danse, sa poésie où l’on reconnaît en voix off la chanteuse Zaz, très engagée en faveur de l’environnement et proche du Collectif. « En se confiant , dans la scène finale au public, souvent sollicité dans nos spectacles interactifs, Lola va embarquer les jeunes spectateurs en leur rappelant que nous aimons tous l’eau, les océans, que nous sommes constitués à 75% d’eau. Elle vit en nous -elle est en toi- dit Lola. En prendre conscience, cela signifie en prendre soin. Si j’en prends soin pour moi à travers mon corps, c’est bon aussi pour mon environnement. L’intérieur et l’extérieur sont profondément liés. Nous sommes des vivants parmi les autres vivants, nous dépendons les uns des autres. La prise de conscience permet de retrouver l’espoir » conclut avec enthousiasme Théo.
Des dates à venir …
Joué pour la première fois en septembre 2023 au théâtre du fleuve, le spectacle « L’eau-là » a déjà effectué une tournée en Dordogne en 2024. Il sera représenté à Bordeaux au Parc Rivière pendant 3 jours en juin ( voir Rendez vous dans ce N°) et à Avignon cet été pendant trois semaines dans le cadre du festival off.
Les trois coups ! Selon Théo Barbe
> Coup de chapeau : « À cette rencontre avec les salariés(e)s d’Eau Bordeaux Métropole qui ont joué le jeu. Ils se sont investis, engagés, ont été généreux dans leur information pour construire notre projet artistique. Ce sont des personnes qui se démènent à faire des sensibilisations sur le sujet du traitement des eaux, de l’environnement…De façon générale, je donnerai ce coup de chapeau à toutes ces personnes qui s’engagent au-delà de leur travail et qui sortent du « il faut faire.»
> Coup de main : « On a mis en place une cagnotte avec déduction fiscale qui passe par Pro arti - un site dédié à la culture - pour soutenir notre aventure à Avignon où nous jouerons le spectacle pendant trois semaines dans le cadre du festival off. Si on veut nous soutenir on peut aller sur le site… »
> Coup de projecteur : « Je pense à Jacques Lusseyran, aveugle, résistant, déporté qui a survécu et sera professeur, écrivain. Il a su transformer les circonstances les plus graves. Remerciant toujours ce gamin de l’avoir poussé, geste qui va le conduire à la cécité, il va transformer ce malheur en une véritable victoire sur la vie …»
Théâtre du Fleuve : https://theatre-du-fleuve.com