Plogoff | 29

Quarante et un ans après le succès d’une lutte antinucléaire, que reste-t-il d’une mobilisation locale de grande ampleur ? L’exemple de résistance toujours porteur de courage dans les luttes en cours, la création d’une association afin de garder vivante cette expérience humaine et soutenir les combats actuels, avec certainement en mémoire ce slogan emprunté au titre d’un ouvrage d’un philosophe : « L’avenir est notre affaire ».

L’histoire de la lutte antinucléaire menée avec succès à Plogoff dans le Finistère de 1974 à 1981 reste encore  bien visible de nos jours. Films,  reportages, documentaires,  la plupart  accessible sur le Net, expliquent  ce mouvement mené au  Cap Sizun qui  soulève le  pays breton.
Les images en noir et blanc, nombreuses, montrent cette  lutte menée par toutes les composantes de la  population. Des scènes inoubliables,  comme la mise au feu des documents de l’enquête publique par le maire, élus locaux et citoyens ; le rôle des femmes, épouses de marin pour la plupart,  allant narguer verbalement les jeunes CRS.

La rencontre d’un projet et d’une culture
Ce conflit à l’issue victorieuse requiert également  un éclairage  local  et temporel rappelé par  Christine  Aubé, toute jeune assistante sociale alors, observatrice de ce qui se vit sur  ce bout de terre,   qu’elle découvre : « La mobilisation qui va se construire, face à ce projet est aussi l’histoire d’une rencontre avec une population en pleine revendication d’une culture régionale, mettant en avant sa langue, mais aussi  sa musique en plein éveil, menée  par  Alan  Stivell, Gilles Servat. De nouvelles façons de vivre en couple émergent  aussi,  les  jeunes ont envie de s’engager… Le dernier rassemblement et grand temps fort du mouvement en mai 1980, réunira plus 100 000 personnes dans  la baie des Trépassés à Plogoff mettra en exergue aussi ces nouveaux choix de vie ».
Des événements d’envergure viendront également donner de la résonance à ce mouvement : en mars 1978,  l’Amoco Cadiz fait naufrage et les côtes bretonnes sont à nouveau victimes d’une marée noire ; à mille kilomètres de là, le Larzac mène un combat contre l’installation d’un camp militaire depuis 1972. Pas étonnant de voir alors  les brebis aveyronnaises venir paître l’herbe bretonne. La convergence des luttes serait-elle  en train de naître ?  

Retour à l’origine…
Tout commence en 1974 avec le plan Mesmer dévoilé dans la presse,  prévoyant dans  le Finistère trois  sites de construction  de centrales nucléaires.  Les communes d’Erdeven*, Ploumoguer* et  Plogoff sont concernées par le plan. C’est la sidération.
À Erdeven*  (à 3Okm  au nord de Vannes),  les opposants  au projet  vont tout de suite s’informer  et vouloir informer la population. Le Comité Régional d’Information Nucléaire (CRIN) va naître et entraîner de nombreuses réunions locales  dans la commune mais bien au-delà, partout en Bretagne.
Parmi les auditeurs,  Jean Moalic , 21 ans , habitant à quelques kilomètres de Plogoff ; Il deviendra  un combattant de la première heure et sera un des porte-parole du mouvement anti-nucléaire sur la commune. «  J’avais fait des études de physique-chimie, ça aidait pour comprendre ce qui allait se passer et j’ai donc relayé l’information à mon tour en faisant l’apprentissage de la prise de parole en public. Notre objectif était plus d’expliquer le nucléaire, de faire comprendre ce que cela allait transformer,  que s’afficher contre le projet. Dans ces réunions tout le monde pouvait s’exprimer,  un des points forts de cette lutte  qui avait un objectif bien déterminé, tout en choisissant  de ne pas avoir de leaders.»
Pour Christine  Aubé, épouse aujourd’hui de Jean Moalic, c’est une période où des relations fortes se nouent  avec des personnes que l’on aurait peut-être jamais rencontrées :  « Pour cela il faut aller au-delà de ses principes et rejoindre ce qui fait commun. Et c’est ce qui est arrivé ».   

« … tout un territoire prend position »
L’information se propage avec force, la lutte territoriale s’organise. En juillet 1975, soit quelques mois après le démarrage de la mobilisation,  Plogoff va être le lieu d’un vaste rassemblement : « Informations et festivités sont mêlées durant cette journée, c’est très important. On réunit  6000 personnes venant d’un peu partout. La commune sent bien que tout un territoire prend position » précise l’ancien militant.

Une alternative…
Si les oppositions  sont nombreuses au cours de cette lutte  dont la création d’un groupement foncier agricole pour retarder les expropriations, le refus de l’enquête publique, l’empêchement de l’implantation d’EDF sur le terrain, l’occupation  du  site sur 70 hectares,  les propositions prennent forme  également  avec le projet  Alter Breton émanant  d’un groupe de scientifiques (1979). « Ce  projet d’une alternative énergétique d'une Bretagne nouvelle, indépendante énergétiquement ne sera pas mis en place.  C’est ma grande déception, au regard de ce que l’on constate aujourd’hui. On pourrait dire que la lutte s’est terminée trop tôt, mais on croyait naïvement aussi que les choses allaient changer » souligne Jean Moalic.

1981, la fin du combat
En décembre 1981,  le décret du  Journal officiel marque  l’abrogation de déclaration d’utilité  publique du projet Plogoff. Après 7 années de lutte, un mouvement qui s’est construit  avec ses militants et ses habitants, soutenu par des associations de consommateurs, mais aussi des écologistes, des syndicats, des partis…   prend fin. « Les héros sont alors bien fatigués » glisse Christine Aubé avec le sourire aujourd’hui.   
Et une expérience qui se transmet toujours
Toutefois,  le savoir–faire militant se transmet au long des  années 80  aux nouvelles luttes antinucléaires se profilant en Bretagne et ailleurs. En  2008, les opposants au projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes mobilisent les symboles de Plogoff et du Larzac pour donner aux promoteurs du projet une idée de leur détermination.

En 2014, les anciens militants décident la  création de l’association « Plogoff Mémoire d’une lutte » qui se donne pour but de collecter la mémoire de Plogoff et de servir aux luttes antinucléaires et au mouvement en faveur d’une transition énergétique et écologique.  « Chaque semaine, on répond  à des demandes de journalistes, d’étudiants français et étrangers  …   qui s’intéressent à cette lutte, à sa stratégie. Et la victoire apporte une  légitimité de prise de parole. »  concluent  nos interlocuteurs, aujourd’hui Président et secrétaire-trésorière de l’association.


* Erdeven  et Ploumoguer  = sites  appartenant au pré-projet du plan,  abandonnés en 1978.   

 


Les trois coups ! Selon Jean  Moalic et Christine Aubé


> Coup de chapeau : « Aux jeunes qui militent en ce moment à Bure contre le projet d’enfouissement des déchets nucléaires ».


> Coup de main : « C’est ce que l’on fait à travers l’association  pour aider  toutes les actions qui œuvrent dans le domaine de l’environnement ».

 

> Coup de projecteur :  « Deux BD nous viennent à l’esprit  « Le droit du sol –Journal d’un vertige  »   d’Étienne  Davodeau  et « Algues vertes- l’histoire interdite »  d’Inès Léraud et Pierre Van Hove ».


Association Mémoire d’une lutte :  https ://www.plogoffmemoiredunelutte.com

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REDACTION

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