Marseille | 13
Au milieu de la rue, une table se met en place, avec dix chaises autour. Qui veut s’assoie… Un prof de philo tourne la roue, la couleur indique la question lue aux participants. Le débat démarre. Avec des règles ? Non. Le temps et la place de la philosophie s’immiscent, l’expérimentation de son opinion juxtaposée à celles des autres se révèle… Qui peut penser que le débat n’est plus possible ?
Professeurs de philosophie ayant en commun l’amour de leur métier, ils et elles ont décidé de s’installer dans la rue voici sept ans, afin de créer dans l’espace public des lieux de rencontres pour débattre et rompre avec une ambiance qui avait emparé cet espace, le nommant même lieu de haine, de violence ou de peur.
« L’amitié précède ce collectif… »
Céline Acker – professeur au Lycée Thiers (lettres sup) à Marseille fait partie de ce groupe d’une quarantaine de professeurs des Bouches-du-Rhône, d’horizons et de pensées différents qui ont créé le collectif les philosophes publics. « L’amitié précède ce collectif, nous étions déjà en lien. Nous nous retrouvions pour parler de nos pratiques, nos façons différentes de faire cours… On avait lancé un appel au niveau de l’académie, cela fonctionnait bien. Et puis il y a eu les attentats et là, on a voulu aller plus loin, en dehors de notre sphère professionnelle. On a cherché ce que pouvait la philosophie dans des espaces où elle n’est pas attendue.»
« …Lors de nos tables sauvages… »
Pour Céline Acker, le fait d’être en groupe, d’avoir construit celui-ci autour de l’amitié a permis de faire le pas dans la rue : « Jamais, je n’aurai pu faire cela seule, le 1+1+1 … nourrit l’intelligence collective. Lors de nos tables sauvages, nous intervenons à deux philosophes avec l’idée de rendre le débat possible, de construire de nouvelles façons d’être citoyen, de vivre ensemble…»
Des règles seulement pour les philosophes à l’écoute
À la question de savoir s’il est nécessaire au préalable d’instaurer des règles, de donner un temps de parole, de rappeler quelques civilités… notre interlocutrice répond par la négation. Par contre, les philosophes intervenants se donnent quelques règles : « Nous ne prenons jamais la parole en premier après avoir énoncé la question, le désir de paroles des participants est évident, le débat démarre tout de suite. Nous sommes dans une posture d’écoute, permettant d’explorer l’opinion de celle ou celui qui s’exprime. Chacun ayant le droit de cité, toutes les paroles ont le droit de citer, d’être respecté… Le conflit est inexistant ici comme on pourrait le vivre en famille où l’affectif est en jeu.»
Un lieu pour tester son idée, l’explorer
La proposition, la position de la pensée individuelle des participants nourrie au collectif s’apparente à une véritable exploration où l’on peut à tout moment changer d’avis, par rapport à la question posée qui se veut universelle : l’argent fait-il le bonheur ? Le travail n’est-il que souffrance ? Notre société est-elle une société de l’irrespect ?… Qu’est-ce que le courage ? « Le dialogue se veut philosophique au sens de Socrate. C’est un lieu pour tester son idée, l’explorer dans ses contradictions ou fragilités et la faire cheminer collectivement, l’expérience des autres fait progresser nos idées. Nous relançons les débats en rapprochant une idée d’une thèse philosophique, en posant la question –est ce la seule façon d’envisager la question ?… »
« Mais quand est-ce que le dialogue philosophique s’arrête?- « Une question posée dans le cadre des tables sauvages amène généralement un débat d’une heure… On change de question lorsque l’on sent que les éléments de réponse sont suffisants ou simplement parce que des intervenants se lèvent en disant… -oh ! Mais il faut que je parte !!! Je n’ai pas vu le temps passé – Il n’ y a pas d’attente d’un résultat… Ce que l’on produit, c’est en quelque sorte un tissu à un moment, à un endroit, il n’ y a pas d’autre finalité que celle de tisser… »
D’autres lieux et publics à explorer demain…
Les Philosophes Publics proposent environ huit tables par an, souvent installées à l’occasion de festivals, d’événements qui se passent dans les rues de Marseille, mais aussi dans les centres sociaux, les prisons. Ils et elles souhaiteraient aller aussi vers l’entreprise ou d’autres publics où « les discours dominants » se mettent en place, avec toujours l’idée - comme le précise notre interlocutrice - : « que les gens qui ne se parlent pas, s’entendent, s’écoutent… Aller vers des ailleurs, avec d’autres pour défaire l’alterisation… »
On peut également écouter les philosophes publics qui, tous les mois (en podcast), sur Radio Grenouille -une radio locale marseillaise- témoignent, échangent, philosophent. Une autre façon de continuer à cheminer avec eux…
Les trois coups ! Selon Céline Acker
Coup de chapeau : « Merci à l’amitié et à la philosophie en tant que discipline. Les philosophes publics sont une aventure de l’amitié. Même si on ne pense pas pareil, nous avons une langue commune, la philosophie, qui nous permet d’aller dans d’autres espaces, d’avoir un chantier commun au-delà de ce que l’on pourrait nommer un entre- soi ».
Coup de main : « La dénomination Philosophes publics a été choisie en pensant à l’écrivain public, celui qui met sa plume au service des autres. Nous nous mettons au service de ceux et celles qui auraient envie ou besoin de philosophie »
Coup de projecteur : « Sur la philosophie, les philosophes qui ont remis la nature, le vivant, au centre de nos réflexions. Les éditions Wild Project font un travail remarquable sur l’écologie politique. »
Les philosophes publics : lesphilosophespublics.webador.fr